De la Naissance de l'Écriture à la Typographie Numérisée

9 octobre 2007

Typo Quizz… Les réponses 1/2

Hé oui, c’est un peu pervers, mais je vais séparer les réponses sur deux billets. Déjà parce que c’est un peu long, et pour la lecture, je trouve ça plus optimal, et ensuite… parce que je suis sans doute un peu perverse! Tongue out

Voici donc les réponses au typoquizz du billet précédant…

Question 1 :

À quelle catégorie de lettres gothiques correspond le caractère employé par Gutenberg pour la Bible de 42 lignes?

A : Le caractère employé par Gutenberg pour sa Bible à 42 lignes est basé sur le modèle de gothique textura.

Rappelons ici brièvement qu’il existe quatre grandes catégories de caractères typographiques gothiques : textura, rotunda, Schwabacher et Fraktur. (Hé non, la Métallica n’est pas une typo… ils sont très drôles chez Labomatic!)

Les deux premières sont dirèctement héritières des formes d’écriture que le Moyen-Âge réservait le plus souvent au livre, et même au livre savant : la textura aux ouvrages liturgiques, la rotunda aux textes juridiques, exégétiques ou scientifiques. La Schwabacher et la Fraktur sont des créations presque exclusivement typographiques, apparues plus tardivement – réspectivement dans les années 1470-1475 et durant le premier quart du XVIe siècle. Elles dérivent des écritures gothiques cursives ou « bâtardes », d’un usage plus courant – actes notariés, correspondance, etc. – ou moins prestigieux – livres profanes ou de dévotion privées tels que psautiers, livres d’heure, etc. – que les formes purement livresques.

Au milieu du XVe siècle, lorsque Johannes Gensfleish zur Laden zum Gutenberg (vers 1398-1468), patricien de Mayence, en Rhénanie, se lance dans la réalisation de la première bible typographiée, il opte donc tout naturellement pour le modèle textura, le choix le plus logique en regard des usages qui sont ceux de l’industrie du livre à son époque (aujourd’hui, il utiliserait du Times New Roman). Ce respect des codes en vigueur le pousse également à conserver le système des abréviations conventionnelles utilisées par les copistes et à adopter un format et un schéma de mise en page strictement identiques à ceux des grandes bibles de lutrin couramment employées pour la lecture à haute voix lors des offices religieux à l’église et des repas dans les monastères.

▪ Christopher de Hamel, la Bible – Histoire du Livre, Phaidon, 2002.
Harry Carter, A View of Early Typography up to about 1600, Hyphen Press, 2002.

Question 2 :

Quel maître calligraphe est l’auteur du plus ancien manuel d’écriture imprimé?

B : Le plus ancien manuel d’écriture imprimé est le Fundament (1519) de Johann Neudorffer (1497-1563).

L’importance historique du recueil de Neudorffer – un mince opuscule de six pages publié à Nuremberg et consacré à la construction de l’écriture Fraktur – est contesté par Stanley Morison (1889-1967), qui lui préfère la Operina (1522) de Ludovico degli Arrighi (vers 1475-1527). Cette interprétation est à son tour vivement critiquée par Gerrit Noordzji, qui accuse Morison de chercher à minimiser la part de l’Europe du Nord – la sphère culturelle du duché de Bourgogne, en particulier – dans les développements esthétiques de la renaissance – au profit de l’Italie, bien entendu. Cette querelle de spécialistes ne présenteraient que peu d’intérêt si l’édition de tels manuels ne témoignaient pas d’une évolution majeure des statuts et du rôle de l’écrit dans la civilisation européenne : les recueils de Neudorffer et Arrighi sont en effet les premières preuves tangibles de la victoire définitive de l’imprimé sur la copie manuscrite. Leurs auteurs – les touts premiers calligraphes dignes de ce nom – prennent acte de ce que l’écriture est désormais vidée d’une grande part de son utilité – puisque le presse à imprimer fait mieux, plus vite et moins cher – et cherchent donc à en valoriser la dimension esthétique, virtuose, cérémonielle. En français, le mot calligraphie lui-même n’apparaît qu’en 1969, quelques années après la création du dernier caractère typographique directement basé sur un modèle d’écriture – la lettre de civilité (1557) de Robert Granjon, transposition de la bâtarde gothique. Au-delà de cette date, chacune des deux disciplines connaîtra sa propre évolution esthétique, même si la typographie tentera souvent d’imiter la lettre calligraphiée, comme en témoignent les nombreuses fontes qui, dès la fin du XVIIIe siècle, reprendront les formes gracieuses de la coulée ou de l’anglaise.

Gerrit Noordzij, Letterletter, Hartley & Marks, 2000.
▪ Stanley Marrison, Early Italian Writing Books – Renaissance to Baroque, Edizione Valdonega/British Library, 1990.

Question 3 :

Quel typographe français est l’auteur du poinçon du Garamond de l’Imprimerie Nationale?

B : Les poinçons du Garamond de l’Imprimerie nationale ont été gravés vers 1615-1620 par Jean Jannon (1580-1658).

Les fameux caractères de L’Université, commandés au typographe sedanais Jean Jannon en 1641 par Sébasien Cramoisy (1585-1669), alors directeur de l’Imprimerie royale, furent longtemps attribués à Claude Garamond (1499-1561), le plus célèbre graveur de poinçons de la Renaissance française. A ce titre, ils serviront de modèle à de nombreux « Garamond » exécutés au début du XXe siècle pour la composition mécanique, et aujourd’hui disponibles sous la forme de fontes digitales, comme le Garamond 3 – mis au point par l’Américan Type Founders entre 1917 et 1923, avant d’être adapté pour le système Linotype – et le Monotype Garamond (1922). Ce n’est qu’en 1926 qu’un article de la revue britannique The Fleuron dissipa enfin le malentendu : l’enquête, menée par l’Américaine Beatrice Warde (1900-1969) mais signée du pseudonyme « Paul Beaujon », mit au jour un spécimen édité par Jannon en 1621, sur lequel figurait non seulement les six corps de romain et d’italique conservés à l’Imprimerie nationale, mais également un romain d’une taille minuscule – moins de cinq points –, baptisé « la Sedanaise ». L’exploit technique que constitue la gravure des poinçons de ce caractère microscopique contribua alors à établir la réputation de son auteur non plus comme un « simple » imitateur de Garamond mais bien comme un des grands noms de la typographie française classique.

Collectif, Les Caractères de l’Imprimerie nationale, éditions de l’Imprimerie nationale, 1990.
▪ Philip B. Meggs & Roy McKelvey (éd.), Revival of the Fittest, RC Publications, 2000.

Question 4 :

Quel typographe britannique a été accusé par ses concurrents d’employer des caractères destinés à rendre les lecteurs aveugles?

B : John Baskerville (1706-1775) a été accusé par ses concurrents d’employer des caractères d’un dessin si contrasté qu’ils auraient pour effet de rendre aveugle tous les lecteurs du pays.

Au début du XXe siècle encore, Updike n’hésite pas à écrire que les caractères imaginés par Baskerville mettent l’œil à l’épreuve : il leur reproche leur raffinement tatillon et stérile, qu’il attribue à l’influence, excessive de la calligraphie et de la gravure lapidaire – deux disciplines que Baskerville avait pratiqué professionnellement bien avant de se tourner vers une tardive carrière d’imprimeur. Le jugement est sévère et empreint d’une certaine partialité : Updike apprécie d’autant moins les caractères de Baskerville qu’il les juge par rapport à ceux de son très cher William Caslon (1692-1766), incarnation d’un goût typiquement anglo-saxon en typographie, fait de discrétion, d’efficacité et de pragmatisme. Or, non seulement les créations de Baskerville avaient supplanté celles de Caslon dans l’édition britannique dès la fin du XVIIIe siècle – ce qu’Updike ne leur pardonne que difficilement, même avec un siècle et demi de recul –, mais elles annoncent également les caractères néoclassiques de Didot et Bodoni – qu’elles ont clairement influencés – pour lesquels Updike éprouve également une aversion mal dissimulée. A défaut de susciter l’adhésion immédiate de ses compatriotes, les caractères de Baskerville ont fait très tôt l’admiration des imprimeurs continentaux : rachetés par Beaumarchais après la mort de l’imprimeur pour la publication des Œuvres complètes de Voltaire – c’est la célèbre « édition de Khel », soixante-dix volumes parus de 1784 à 1789 –, ils étaient encore à Paris durant la Révolution, où ils servaient à composer La Gazette nationale ou Le Moniteur universel, le futur journal officiel du Consulat et de l’Empire.

Daniel Berkely Updike, Printing Types – Their History, Forms and Use, Oak Knoll Press/British Library, 2001.
▪ Simon Loxley, Type – The Secret History of Letters, I.B. Tauris, 2004.

Question 5 :

Quelle fondeuse-composeuse mécanique a été brevetée en 1886 par l’Américain Tolbert Lanston?

A : Tolbert Lanston (1844-1913) breveta en 1886 une machine à fondre et à composer les caractères typographiques qu’il baptisa « Monotype ».

Contrairement à sa concurrente la Linotype, dont le principe consistait à fondre des lignes de textes entières (line of type), le système Monotype produisait des types individuels : si son rendement était moindre, il imposait cependant moins de contraintes du point de vue du design typographique. Dès les premières années du XXe siècle, la Linotype, plus productive, devient donc l’outil privilégié dans la presse, tandis que la Monotype est majoritaire dans le domaine du livre, grâce notamment à une politique commerciale et créative très ambitieuse : la branche américaine de la compagnie s’assure ainsi dès 1920 les services du grand Frederic W. Goudy (1865-1947), tandis que sa succursale anglaise engage en 1923 Stanley Morison en tant que typographical adviser. Cent ans plus tard, ce sont les caractères créés – ou recréés – dans ce contexte qui constituent le legs Monotype : les rééditions des grands archétypes historiques produits sous l’impulsion de Morison, par exemple, sont aujourd’hui des classiques de la typographie numérique – Bembo (1929), Monotype Garamond (1922), Fournier (1925), Monotype Baskerville (1923), Bell (1930), Van Dijck ou Ehrhardt (1937-1938). Il faut encore ajouter à cette liste l’incontournable Times New Roman (1931-1933), dont Morison fut l’initiateur et le maître d’œuvre, et les best-sellers issus de la collaboration de la firme avec les praticiens aussi considérables qu’Eric Gill (1882-1940) – Gill Sans (1927-1930), Perpetua (1929-1930) ou Joanna (1930-1931).

Richard Southall, Printer’s Type in the Twentieth Century, Oak Knoll Press/British Library, 2005.
▪ Stanley Morison, A Tally of Types, David R. Godine, 1999.

Voilà donc pour les 5 premières réponses… le suspens reste grand pour les 5 prochaines… 😉

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