De la Naissance de l'Écriture à la Typographie Numérisée

7 août 2009

Les règles typographiques de base

Les règles qui suivent répondent aux questions que se posent souvent les personnes pratiquants la PAO sans connaissances typographiques particulières ; ce qui est un phénomène de société. Elles répondent donc à un besoin constaté.

Les règles typographiques françaises sont très nombreuses, et parfois très spécifiques. Il importe donc d’en acquérir le minimum convenable, à savoir celles sur lesquelles nous buttons à longueur de journée.

L’application de ces règles va permettre de réaliser des travaux corrects sur le plan de la typographie, d’être à l’aise dans son travail et aussi, et c’est non négligeable à mon sens, de participer à la bonne santé de notre langue. Si cette dernière permet des nuances très fines des idées, elle est, en revanche, l’une des langues les plus difficiles.

Mais ne tergiversons pas, et passons au vif du sujet :

Les abréviations courantes :

– Les nombres ordinaux :

Les lettres et chiffres supérieurs se mettent toujours en bas de casse.
On abrège :

premier par 1er (en chiffres arabes) et par Ier (en chiffre romain)
premiers
par 1ers et Iers
premières
par 1re et Ire
premières
par 1res et Ires

Si certains logiciels ne permettent pas de mettre les lettres et chiffres supérieurs, on tolèrera par défaut : 1er, Ier, etc.

On abrège :
deuxième
par 2e et IIe, et non 2me, 2ème ou 2ième qui sont des erreurs courantes, même sur les écrans de nos chaînes nationales de télévision, par exemple : Résultats des 2ème et 3ème courses…
deuxièmes
par 2es et IIes
troisième
par 3e et IIIe
Et ainsi de suite.

En ce qui concerne les abréviations sur les haut de casse :
LE Ve SALLON DES ANTIQUAIRES, et non LE VE SALON…

– Symboles des mesures légales :

Fixés par la loi du 3 mai 1961, ces symboles sont invariables au pluriel et ne comportent pas de point final.

On abrège :
ampère(s) par A
are(s) par a
centigramme(s) par cg
centilitre(s) par cl
centimètre(s) par cm
décalitre(s) par dal
décamètre(s) par dam
décibel(s) par dB
degré(s) d’angle par °
degré(s) Celsius par °C
degré(s) Fahrenheit par °F

Les euros :

En vertu des conclusions du Conseil européen de Madrid de décembre 1995, la monnaie unique des communautés européennes porte le nom d’euro.
Il est entré en application le 1er janvier 2002.
L’euro est divisé en cent subdivisions, chacune étant appelés cents (comme en anglais), mais centimes en français (parce que le mot « cent » y est déjà utilisé pour écrire le nombre cent.

Les formes à utiliser sont :
Un euro, des euros (tout en minuscule).
Le code ISO
pour l’euro est EUR. L’abréviation de l’euro est .
On écrit donc : 1 euro, 375 euros ou 1 EUR, 375 EUR ou encore, 1, 375 .

Les heures :

On abrège par h et non par H.
Vient en bas de casse, même dans un texte en capitales :
LA CONFÉRENCE EST À 20 h 45, SALLE DES FÊTES.

On tape : 20 [espace] h [espace] 45.  Idéalement, cette espace* est d’un quart de cadratin, appelé aussi espace fine. Mais si le logiciel ne permet pas le quart de cadratin (comme ma vieille version de Word sous mac par exemple), mieux vaut mettre une espace normale* que pas d’espace du tout.

*En typographie, le mot espace est féminin quand il désigne l’intervalle entre deux lettres ou deux mots ! 😉

Prochain article : L’emploi des capitales et des bas de casse, puis, de la remise en question de l’idée reçu qui veut que les accents ne s’appliquent pas sur les Majuscules.

4 août 2009

Lisibilité Culturelle

Les paramètres vus dans l’article Lisibilité Fonctionnelle ne sont pas complètement absolus. En effet, les habitudes culturelles comptent également pour beaucoup dans la lisibilité de continuité et peuvent, seules, expliquer par exemple, que les Allemands aient continué jusqu’en 1945 à utiliser couramment les lettres gothiques (1) pour la composition de textes longs, alors même qu’elles présentent des caractéristiques absolument incompatibles avec les mécanismes mis en évidence par les études scientifiques évoquées précédemment :
– faible différenciation relative des signes,
– rythme nettement vertical, qui ralenti la lecture,
– hauteur d’œil importante, etc.
Il est donc assez difficile d’accepter sans réticence les principes rigides des tenants de la typographie traditionnelle : certes, les expériences menées sur la physiologie de la lecture semblent a posteriori valider les règles immuables héritées des typographes de l’âge classique – elles sont d’ailleurs encore couramment appliquées dans tous les contextes où le mise en forme typographique doit s’effacer devant le contenu du texte, comme l’édition littéraire. Mais il importe toujours de se souvenir que l’aspect visuel d’un texte n’est jamais totalement neutre, et que ce qui est souvent présenté comme une solution strictement fonctionnelle et objective n’est jamais qu’un code culturel comme un autre.

Rien n’empêche, en théorie, d’utiliser un caractère Sans Serif pour la composition d’un roman de six cents pages. Une telle tentative serait pourtant vraisemblablement condamnée avec la plus extrême vigueur au nom des critères de la lisibilité établis par la tradition historique avant d’être validés par la recherche scientifique – alors même que la seule objection réellement pertinente serait celle qui s’appuierait sur les habitudes du lectorat et la nécessaire continuité des usages typographiques associés à l’édition littéraire dans notre civilisation.

La phrase célèbre de la typographe américaine Zuzana Licko, « You read best what you read most » – « On lit mieux ce qu’on lit le plus » – demeure sans doute, en définitive, la seule règle totalement fiable en ce qui concerne les paramètres culturels de la lisibilité de continuité.

Fraktur

Fraktur

(1) À la différence des autres types de lettres gothiques, les Fraktur sont des lettres purement typographiques, créées spécialement pour l’imprimerie à une époque où la copie manuscrite était déjà marginalisée par le procédé de Gutenberg.


New Alphabet - Wim Crouwel

New Alphabet - Wim Crouwel

(2) Le New Alphabet (1967) du graphiste néerlandais Wim Crouwel n’est qu’une des multiples tentatives réalisée au XXe siècle pour « adapter la forme des lettres à des modes de lecture modernes » : souvent jugé trop radical, il n’a été que rarement utilisé.


Caractères digitaux - Zuzana Licko - 1984

Caractères digitaux - Zuzana Licko - 1984

(3) Non, ce n’est pas un bug de votre écran : les premiers caractères digitaux dessinés en 1984 par Zuzana Licko pour la revue Emigre étaient conçus à partir de la définition très limité des imprimantes de l’époque, ce qui leur donne paradoxalement un très net « parfum technologique ».

Index :

Sans Serif :
« Serif » est un terme technique d’origine angaise synonyme d’“empattement”.

Zuzana Licko :
Une des rares femme à exercer la profession de type designer, elle est devenue en une petite dizaine d’années une star internationale de la création typographique grâce à une approche radicalement « technologique ».

12 juin 2009

[..::Dossier::..] Partout et nulle part

Dessiné en 1957 par Max Miedinger (1910-1980), il s’appelait au départ Neue Haas Grotesk : il remplaçait, dans le catalogue de la fonderie suisse Haas, dont Miedinger était l’employé, un vieux caractère bâton – grotesk, en allemand – de la fin du dix-neuvième siècle.
Il fut rebaptisé Helvetica pour l’exportation afin de rappeler son pays d’origine, dont le style graphique était alors très populaire partout en Europe : les graphistes suisses ne s’y trompèrent pas, ils l’adoptèrent en masse à la place de l’ancien Grotesk, dont ils étaient déjà des utilisateurs fervents.
Porté par le vague du « style suisse » des année 1950 à 1960, l’Helvetica ne tarda pas à conquérir le monde entier : on loua sa discrétion, sa polyvalence, son accessibilité, sa normalité si rassurante.

Comme le Times New Roman avait peu à peu supplanté tous les autres caractères de lecture, l’Helvetica devint en deux décennies le caractère sans empattements incontournable, grâce à un dessin subtilement balancé, soigneusement débarrassé du moindre accident, des proportions parfaitement homogènes et équilibrées et, surtout, de nombreuses déclinaisons de graisses et de chasses – une bonne cinquantaine, ajoutées année après année par ses différents diffuseurs.

Pourtant l’immense popularité de l’Helvetica a eu au moins deux conséqueces fâcheuses : d’abord, son omniprésence a entrainé chez nombre de graphistes une méfiance, voir une opposition farouche – s’il est utilisé partout, il se banalise et perd une bonne part de sa personnalité et de son attractivité ; ensuite, il a été copié et plagié un nombre absoluement incalculable de fois – son « clone » le plus courant est l’Arial (1982), devenu depuis très courant sur la plupart des logiciels de traitement de texte à destination du grand public.

Josef Müller-Brockmann 1971

Josef Müller-Brockmann 1971

Josef Müller-Brockmann (1914 – 1996) fut un des nombreux graphistes suisses à adopter l’Helvetica, comme le prouve cette affiche de concert réalisée en 1971.

Lars Müller - Homage to a Typeface

Lars Müller - Homage to a Typeface

Parmi les admirateurs du caractère de Miedinger figure également l’éditeur suisse Lars Müller, qui lui consacra en 2002 un livre entier, fort justement intitulé « Homage to a Typeface ».

3 juin 2008

[..::Dossier::..] Ladislas Mandel, explorateur de la typographie française 2/2

Le téléphone pénètre tous les milieux sociaux, et parfois des milieux dans lesquels on lit très peu.
Ladislas Mendel ne travaille pas pour les intellectuels qui savent tout lire ou les jeunes qui n’ont pas de problèmes de vision et lisent parfaitement le mini-annuaire.
La petite taille des caractères n’est pas seulement justifiée par l’économie de place et donc la baisse du coût de fabrication. Cela permet également de ne pas multiplier le nombre de volumes et d’en simplifier la consultation.
Mandel a donc analysé comment les lecteurs appréhendent une page typographique, par l’expérimentation sur de très petits corps. « On croit que dans les très petits corps on ne voit pas la lettre, mais pourtant on la lit, dans la lecture globale que l’ont fait des mots… »

annuaires
Comparatif de quelques-uns des annuaires réalisés par Ladislas Mandel

Les recherches de Leclerc (1843)
Ce notaire a démontré que la partie supérieure des lettres est suffisante pour la lecture. Il a donc proposé de supprimer la partie basse, et de réduire ainsi, de moitié, tous les frais d’impression…

Les recherches de Leclerc en 1843

Le caractère “gestuel” est plus lisible
Les “accidents” rencontrés dans la partie supérieure des lettres (issus des tracés d’attaques) aident à la reconnaissance des formes. Alors qu’en haut les caractères “à modules” rendent impossible la lecture différenciée des caractères.

Le caractèr gestuel

La silhouette du mot
Nous ne lisons pas les lettres, mais les groupes de lettres. Une “imagemot” constituée d’une silhouette particulière, unique pour chaque mot, tel qu’on peut le reconnaître dans le dictionnaire.

La silhouette du mot

L’image radiographique
Chaque mot est constitué d’une image “radiographique” intérieure, formée de l’alternance rythmée des blancs et des noirs. Le “blanc interne” du mot est l’image des contre formes des caractères.
L'image radiographique

On pense souvent que dans une bonne typographie c’est toujours la fonction du texte, qu’elle soit poétique, scientifique, spirituelle, littéraire, informationnelle ou exhibitionniste qui détermine la forme de l’écriture et son ordonnancement. Mandel explique que « les formes des lettres – comme toutes les formes visuelles – contiennent et expriment une réalité, une pensée ou une sentiment. Cette expression se superpose naturellement à leur signification conventionnelle et prend toute sa valeur à l’intérieur d’une culture spécifique, où les individus vibrent généralement aux mêmes résonances. »
Une question se pose donc : Comment façonner un caractère typographique qui serait en communion avec un groupe de lecteurs donné? C’est à dire, en l’humanisant autant que possible pour le public.

Comment améliorer la lisibilité des caractères en petits corps ?
Pour la lecture discontinue des caractères d’annuaire, Mandel a “sacrifié” la silhouette du mot, pour grossir les bas de casse (caractère à “gros oeil”) et les faire paraître ainsi plus grosses pour une hauteur de corps identique. Les rythmes des “blancs internes” des mots ont réintroduit de la lisibilité. Le gain de place a donc été réalisé sur l’interlignage des colonnes. On peut noter qu’un caractère plus petit mais large sera plus lisible qu’un caractère gros étroit.

Lisibilité des caractères en petits corps

La troisième et la quatrième génération de machines de photocomposition vont afficher les caractères sur film, à une définition qui n’est plus photographique, mais « matricielle ». Ce système permet d’éviter l’altération des contours de la lettre en petit corps.

dessin original, prédigitalisation, résultat imprimé
De gauche à droite, (flashé à 1 000 dpi) et agrandi 10 fois.

Pour éviter cette déformation à faible résolution, Ladislas Mandel a eu l’idée de dessiner lui-même cette version pixel « basse définition ». D’après ses dessins originaux tracés sur calque en « trait continu », il a interprété en pixels le dessin de chaque lettre, en le superposant à la grille correspondant à la résolution de flashage choisi.

En 1983, les éditions MESSIDOR et le ministère de la Culture demandent à Ladsislas Mandel de dessiner un caractère pour éditer les oeuvres complètes de Victor Hugo : Le Messidor. Un caractère de bonne lisibilité en corps 12. Ce caractère lui permet, entre autre, de démontrer qu’en France il est possible de numériser des caractères pour la photocomposition, sans passer par les fabricants de machine, et de créer un caractère de tradition française.
Le Messidor
Le Messidor a d’abord été numérisé pour la photocomposition à l’Imprimerie nationale. La version PostScript a été réalisée en 1997, d’après les dessins de Ladislas Mandel, par Thierry Gouttenègre, graphiste et dessinateur de caractères à Grenoble (nombreuses créations et recréations chez Alfac, le Vizille est son caractère le plus récent).

Aujourd’hui, aucun caractère ne peut prétendre refléter, à lui seul, l’image complexe de la société française. C’est pourquoi, le Messidor est bel et bien une “préparation” culinaire – façon Mandel. Une pincée de rigueur et un zeste de sensualité. Un soupçon de gothique, un filet d’humanisme.

« Dans une écriture typographique ou manuscrite, je trouve beaucoup plus de vérité que dans l’Histoire écrite, où l’on ment, et que l’on refait tous les jours. Dans l’écriture on ne peut pas mentir. C’est l’expression directe de l’homme, avec son corps et son esprit. »

10 décembre 2007

[..::Dossier::..] Ladislas Mandel, explorateur de la typographie française 1/2

(26-05-1921 – 20-10-2006)

Mandel, Fritiger et Girard

Depuis cinq siècles, le dessin typographique a toujours été reproduit sur du plomb. La composition manuelle est devenue industrielle avec les machines. Après guerre, une reconversion aux techniques offset et à la photogravure se réalisent. Les bouleversements ont entraîné une adaptation des formes de la typographie – transférées pour un temps sur support photographique, puis cathodique, et enfin numérique.

Jusque là, ça avait toujours été le graveur de poinçons le véritable créateur des formes de caractère, dirigés par des concepteurs, comme Jenson, Garamond ou Didot. Ces graveurs étant rarement des dessinateurs, leurs caractères étaient souvent trop maigres imprimés en offset, en petits corps. Il a donc fallu concevoir des dessins plutôt pour les petits corps, et ainsi les « revivals » étaient plus lisibles.

Tel était le travail de Ladislas Mandel et Adrian Frutiger, soit adapter les caractères classiques en plomb à cette nouvelle technologie photographique qu’étaient les photocomposeuses, et également de proposer des créations originales.

Recrutés par Charles Peignot, Adrian Frutiger avait le poste de directeur artistique, et Ladislas Mandel, de chef de studio, en 1955.

En redessinant des caractères de textes, lisibles en petits corps, Mandel a fait l’apprentissage des phénomènes de lisibilité. C’est grâce à cet apprentissage qu’il développera plus tard ces phénomènes dans des conditions extrêmes, pour les annuaires téléphoniques. En effet, en photocomposition, les impératifs de production imposaient une insolation photographique trop brève des caractères, et cela érodait les angles des dessins. Ladislas Mandel – grâce à la méthode et la rigueur qu’il a acquis aux côté de Frutiger – a eu l’idée d’accentuer les « pointes » des dessins de lettres afin de conserver l’acuité des angles intérieurs. Il a également mis au point la fameuse « grille Univers », système de nomenclature des chasses et des graisses qui permettaient de situer immédiatement un caractère.

En 1963, Ladislas Mandel prend la relève de Frutiger et devient à son tour Directeur artistique et directeur de l’atelier. Il continu son travail de « recréation » et commence à côté ses propres créations, dont l’Antique Presse, la Cancellaresca, le Sofia et l’Aurélia. En 1968, la Lumitype, devenue International Photon Corp., lui propose de créer des caractères pour le marché international. En 1977, à la fermeture du studio, il devient dessinateur de caractères indépendant et travaille principalement à la création de caractères spéciaux pour les annuaires téléphoniques, dont il est devenu le grand spécialiste. (cf prochain billet)

L'Antique Presse

L'Aurélia

cancellaresca

Le Sofia

Index :

La photogravure : C’est initialement le nom donné au procédé photographique qui permet d’obtenir des planches gravées utilisables pour l’impression typographique.

Photocomposeuse : Il s’agit d’une machine servant à réaliser des impressions de grande qualité par l’intermédiaire de films électrophotographiques.

Lumitype : Le premier procédé de photocomposition a été inventé par deux Français, Higonet & Moyroud, en 1949. Ils ont eu l’idée d’abandonner les caractères en plomb, avec leurs contraintes (coûteux et lourds à manipuler et à stocker) pour des matrices photographiques négatives placées sur un disque. Faute de moyens, ils durent développer leur invention aux Etats-Unis. Les machines “Photon” seront fabriquées sous licence en France (sous le nom de Lumitype), par Charles Peignot qui aura beaucoup de mal à convaincre les imprimeurs français. Il y aura jusqu’à l’arrivée du numérique (fin 1980 en France) quatre générations de machines de photocomposition. La première, à bandes, la seconde sur support-matrice plaques ou disques rotatifs, la troisième génération sera à tubes cathodiques, et la quatrième au laser.

Offset : Procédé d’impression. C’est actuellement le procédé d’impression le plus courant. Ce succès est dû à sa souplesse et sa capacité à s’adapter à une large variété de produits. Il permet entre autre de couvrir une gamme de tirage relativement large.

Note : Aujourd’hui 19 août 2009, nous apprenons la disparation de Lucette Girard, une des “petites mains” de la fonderie française Deberny et Peignot.

19 octobre 2007

Typo Quizz… Les réponses 2/2

Voici donc la deuxième partie des réponses au TypoQuizz!

Question 6 :
Qui a conçu en 1916 l’alphabet de signalétique du métro de Londres toujours en cours aujourd’hui? (J’en ai parlé il y a pas longtemps du tout…)


D : L’alphabet de signalétique employé encore aujourd’hui par le métro de Londres a été conçu en 1916 par Edward Johnston (1872-1944).

L’alphabet de Johnston, popularisé sous le nom de Railway Type ou d’Underground Type, occupe une place à part dans l’histoire de la typographie du XXe siècle pour au moins trois raisons. C’est d’abord le premier alphabet pensé pour un usage signalétique, avec une attention spéciale portée à la différenciation des signes – le fameux « coude » du l bas-de-casse, par exemple, assure la distinction avec la capitale I, une option régulièrement reprise par la suite dans des créations conçues au moins en partie pour un usage comparable, comme les alphabets DIN 1451 du réseau routier allemand (1932) ou le FF Meta (1991) d’Erik Spiekermann.
Ensuite, il constitue le prototype d’un type de caractère sans empattements alors entièrement inédit, associant à un tracé linéaire entièrement inédit, associant à un tracé linéaire une structure classique héritée de la capitale romaine et de la minuscule humanistique de la Renaissance, comme un parfait compromis entre tradition historique et modernité fonctionnelle. Ce style typographique particulier, appelé aujourd’hui linéale humanistique, a connu depuis un succès considérable, depuis le Gill Sans d’Erik Gill et le Syntax (1968) de Hans Eduard Meier jusqu’aux variantes sans empattements des nombreux caractères multi-styles contemporains – le Thesis (1994) de Lucas de Groot, le Quadraat (1992-1997) de Fred Smeijers, le Scala (1990) de Martin Majoor –, en passant par des créations ponctuelles comme le Cronos (1997) de Robert Slimbach. Enfin, l’utilisateur étendue qu’il a connue dans la communication graphique du métro de Londres depuis bientôt un siècle place également le Railway Type dans le peloton de tête des caractères « de signature », propriétés d’une marque particulière, dont ils constituent un élément essentiel de l’identité visuelle globale.

Justin Howes, Johnston’s Underground Type, Capital Transport Publishing, 2000.
▪ Jan Middendorp & Eric Spiekermann, Made with FontFont, Bis Publishers, 2006.

Question 7 :
Qui était à la tête de l’atelier d’imprimerie et de publicité du Bauhaus de Dessau de 1925 à 1928?

B : L’atelier d’imprimerie et de publicité du Bauhaus de Dessau était dirigé entre 1925 et 1928 par Herbert Bayer (1900-1985).

Né en Autriche, Bayer étudia au Bauhaus de Weimar entre 1921 et 1925 dans les ateliers dirigés respectivement par Oskar Schlemmer (1888-1943) et Wassily Kandinsky (1866-1944). Son diplôme de fin d’étude en poche, il fut engagé comme enseignant dès le déménagement à Dessau en Avril 1925, en même temps que d’autres « jeunes maîtres » pareillement issus des rangs de l’école – Marcel Breuer (1902-1981), Joost Schmidt (1893-1948), etc. C’est durant cette époque qu’il conçut son célèbre Universalschrift (publié en 1926), sous l’influence notable de l’ingénieur rationaliste Walter Porstmann (1886-1959), le « père » des formats de papier DIN. La suppression pure et simple des lettres capitales, par exemple, avait été suggérée par Porstmann dès 1920 dans son livre Sprache und schrift comme une mesure d’économie destinée à simplifier la fabrication et l’utilisation des machines à écrire. L’usage des capitales fut d’ailleurs banni de l’atelier d’imprimerie et de publicité du Bauhaus dès octobre 1925 (même si Bayer se permit en plusieurs occasions de transgresser la règle qu’il avait lui-même édictée) : le papier à lettre officiel de l’école était intégralement composé en bas-de-casse – un court texte en pied de page (!) expliquait les raisons objectives de ce choix –, de même que les documents pédagogiques et les différentes publications réalisées en interne par les étudiants ou les professeurs. Bayer quitta son poste au Bauhaus en avril 1928, au même moment que Walter Gropius (1883-1969), le fondateur de l’école : Joost Schmidt reprit la tête de l’atelier jusqu’en octobre 1932, date à laquelle celui-ci fut définitivement supprimé.

Magdalena Drost, Bauhaus 1919-1933, Tashen, 1994.
▪ Ellen Lupton & Elaine Lustig-Cohen, Letters from the avant-garde, Princeton Architectural Press, 1996.

Question 8 :
Quel caractère typographique a été dessiné par Roger Excoffon sur la base du logotype qu’il avait créé pour Air France?

A : C’est à partir du logotype qu’il avait dessiné en 1958 pour Air France que Roger Excoffon (1910-1983) développa l’Antique Olive (1959-1966).

Curieuse genèse, donc, que celle de l’Antique Olive : non seulement le caractère tout entier fut « extrapolé » à partir de sept lettres du logotype AIR France – réalisé en tandem avec José Mendoza, alors assistant d’Excoffon à la fonderie Olive –, mais la première variable réalisée fut la version ExtraBold Extended, baptisée « Nord » et mise sur le marché dès 1959. Certes, le lettrage utilisé pour le logotype présentait déjà de telles caractéristiques – très large très gras – et il était assez logique de capitaliser tout de suite sur le travail déjà accompli. Pourtant, le cas d’un caractère intégralement décliné à partir d’une de ses variantes les plus extrême est rarissime dans l’histoire de la création typographique du XXe siècle – il fut bien plus fréquent de dessiner d’abord la version « Regular » avant de construire la famille entière sur cette base. Peut-être l’origine du dessin si singulier de l’Antique Olive est-elle à chercher dans ce mode de conception original : on retrouve en effet dans chacune des variantes du caractère – même dans ses versions « normales » – quelque chose de l’excès formel d’ordinaire réservé aux seules variables les plus expressives.
En tout état de cause, l’Antique Olive suscite aujourd’hui encore tout à la fois l’admiration et la perplexité des historiens et des critiques de la typographie, particulièrement à l’étranger : Sebastian Carter, par exemple, le présente comme la linéale la plus originale depuis le Futura et le Gill, tandis que dans la première édition (1992) de son Typo du 20e siècle, Lewis Blackwell le trouve intéressant, du moins sur le marché français. Cette attitude est symptomatique de l’accueil que connurent hors de nos frontières les créations d’Excoffon – Banco (1951), Mistral (1953) ou Choc (1955) : saluées pour leur audace formelle et leur originalité, elles furent cependant considérées comme trop « éminemment française » pour être réellement utilisable dans un contexte culturel anglo-saxon ou germanique.

Michel Wlassikoff, Histoire du graphisme en France, Dominique Carré/Arts décoratifs, 2005.
▪ Sébastian Carter, Twentieth Century Types Designers, Lund Humphries, 1987 & 1995.

Question 9 :
Complétez cette citation de Massimo Vignelli : « Il n’y a que deux façon de faire de la typographie, la bonne et… »

D : « Il n’y a que deux façons de faire de la typographie, la bonne et celle d’Emigre » – Massimo Vignelli.

La réputation de praticien inflexible dont jouit Vignelli repose autant sur la nature fréquemment dogmatique de ses déclarations que sur l’austérité de ses goûts : il se vente ainsi volontiers de n’avoir utilisé dans toute sa longue carrière – il est né en 1931 – que cinq caractères typographiques (pour mémoire, l’Helvetica, le Futura, le Century Schoolbook, le Garamond 3 et son cher Bodoni), tous les autres étant de facto inutiles et bons à jeter à la poubelle. Un tel condottiere ne pouvait rester à l’écart du débat qui secoua le champ professionnel du graphisme au Etats-Unis au milieu des années 1990 : révolution digitale, boom de la typographique numérique, expérimentation débridée, postmodernisme iconoclaste, etc. Vignelli fut donc en première ligne parmi ceux qui réclamaient l’instauration d’une certification officielle – semblable à celle dont doivent disposer les architectes pour pouvoir exercer –, seule capable de distinguer, en particulier aux yeux des commanditaires, privés ou institutionnels, les « bons » graphistes des « méchants » tripatouilleurs digitaux (suivez son regard…). Interrogé sur la difficulté de déterminer a priori les caractéristiques du graphisme « de qualité » – méritant la certification, donc –, il répondit avec aplomb : Je suis sûr qu’il y aurait consensus dans 90% des cas… Après tout, il n’y a que deux façons de faire de la typographie, la bonne et celle d’Emigre. Encore faut-il préciser que le mot typographie désigne ici l’utilisation des caractères typographiques – typography – et non la création de polices – type design –, dont Vignelli, satisfait de son « cinq majeur », se désintéresse absolument : l’attaque visait donc bien la revue Emigre, dont les pages explosives ne pouvaient manquer d’irriter le pape de la grille modulaire, et non la fonderie numérique du même nom.

▪ Michael Bierut, William Drenttel, Steven Heller & DK Holland, Looking Closer 2, Allworth Press, 1997.
▪ Rudy VanderLans, Emigre No 69 – The End Emigre/Princeton Architectural Press, 2005.

Question 10 :
Lequel de ces caractères est dessiné par Pierre di Sciullo?

C : Pierre di Sciullo a dessiné en 1999 un caractère typographique baptisé le « Durmou ».

Avec ce caractère, di Sciullo poursuit son entreprise de dézinguage des standards du design typographique « normal » – une quête dont l’épisode le plus fameux reste la création du Garamond (1992) – tout en franchissant un nouveau degré dans la vrai-fausse fonctionnalité foutraque. En effet, le Durmou a d’abord ceci de particulier qu’il est, comme son nom l’indique, à la fois dur et mou, rond et pointu : son programme de conception fait donc fi de la sacro-sainte homogénéité formelle qui devrait être celle de tout caractère typographique digne de ce nom. Pourtant, loin de procéder par « copier/coller » comme n’importe quel bricoleur digital contemporain – P. Scott Makela avec son Dead History (1990), par exemple –, di Sciullo assume jusqu’au bout de la schizophrénie de son propos et entrepend de donner à un même fragment de tracé le visage changeant, polymorphe, d’un maniaco-dépressif en proie à d’incessantes sautes d’humeur. Les adjectifs « dur » et « mou » rendent compte du statut paradoxal de l’entreprise en même temps que leur connotation péjorative souligne la dimension iconoclaste du projet : ils se substituent ici en effet aux qualitatifs couramment employés pour décrire le dessin des caractères « normaux » – net, rectiligne, acéré, tendu, souple, dynamique, etc.
Mais ce n’est pas tout : les proportions et les contre formes du Durmou « citent » de façon évidente les créations ultra techniques, pensées dans une optique de stricte fonctionnalité, que sont les caractères d’annuaire comme le Bell Centennial (1978) de Matthew Carter. Di Sciullo s’empare donc d’un vocabulaire formel tout ce qu’il y a de pragmatique – grosse hauteur d’œil, « pièges à encre » destinés à éviter le bouchage à l’impression – qu’il combine façon Frankenstein dans un pur objectif de jouissance visuelle. Comme l’écrit si bien son ami l’éditeur Guillaume Pô, on ne comprend toujours pas pourquoi le Durmou n’est pas utilisé par la Bibliothèque nationale pour la réédition des ouvrages tirés de son Enfer.


▪ Collection “Design & designer” Pierre di Sciullo, Pyramyd, 2003.

www.quiresiste.com

9 octobre 2007

Typo Quizz… Les réponses 1/2

Hé oui, c’est un peu pervers, mais je vais séparer les réponses sur deux billets. Déjà parce que c’est un peu long, et pour la lecture, je trouve ça plus optimal, et ensuite… parce que je suis sans doute un peu perverse! Tongue out

Voici donc les réponses au typoquizz du billet précédant…

Question 1 :

À quelle catégorie de lettres gothiques correspond le caractère employé par Gutenberg pour la Bible de 42 lignes?

A : Le caractère employé par Gutenberg pour sa Bible à 42 lignes est basé sur le modèle de gothique textura.

Rappelons ici brièvement qu’il existe quatre grandes catégories de caractères typographiques gothiques : textura, rotunda, Schwabacher et Fraktur. (Hé non, la Métallica n’est pas une typo… ils sont très drôles chez Labomatic!)

Les deux premières sont dirèctement héritières des formes d’écriture que le Moyen-Âge réservait le plus souvent au livre, et même au livre savant : la textura aux ouvrages liturgiques, la rotunda aux textes juridiques, exégétiques ou scientifiques. La Schwabacher et la Fraktur sont des créations presque exclusivement typographiques, apparues plus tardivement – réspectivement dans les années 1470-1475 et durant le premier quart du XVIe siècle. Elles dérivent des écritures gothiques cursives ou « bâtardes », d’un usage plus courant – actes notariés, correspondance, etc. – ou moins prestigieux – livres profanes ou de dévotion privées tels que psautiers, livres d’heure, etc. – que les formes purement livresques.

Au milieu du XVe siècle, lorsque Johannes Gensfleish zur Laden zum Gutenberg (vers 1398-1468), patricien de Mayence, en Rhénanie, se lance dans la réalisation de la première bible typographiée, il opte donc tout naturellement pour le modèle textura, le choix le plus logique en regard des usages qui sont ceux de l’industrie du livre à son époque (aujourd’hui, il utiliserait du Times New Roman). Ce respect des codes en vigueur le pousse également à conserver le système des abréviations conventionnelles utilisées par les copistes et à adopter un format et un schéma de mise en page strictement identiques à ceux des grandes bibles de lutrin couramment employées pour la lecture à haute voix lors des offices religieux à l’église et des repas dans les monastères.

▪ Christopher de Hamel, la Bible – Histoire du Livre, Phaidon, 2002.
Harry Carter, A View of Early Typography up to about 1600, Hyphen Press, 2002.

Question 2 :

Quel maître calligraphe est l’auteur du plus ancien manuel d’écriture imprimé?

B : Le plus ancien manuel d’écriture imprimé est le Fundament (1519) de Johann Neudorffer (1497-1563).

L’importance historique du recueil de Neudorffer – un mince opuscule de six pages publié à Nuremberg et consacré à la construction de l’écriture Fraktur – est contesté par Stanley Morison (1889-1967), qui lui préfère la Operina (1522) de Ludovico degli Arrighi (vers 1475-1527). Cette interprétation est à son tour vivement critiquée par Gerrit Noordzji, qui accuse Morison de chercher à minimiser la part de l’Europe du Nord – la sphère culturelle du duché de Bourgogne, en particulier – dans les développements esthétiques de la renaissance – au profit de l’Italie, bien entendu. Cette querelle de spécialistes ne présenteraient que peu d’intérêt si l’édition de tels manuels ne témoignaient pas d’une évolution majeure des statuts et du rôle de l’écrit dans la civilisation européenne : les recueils de Neudorffer et Arrighi sont en effet les premières preuves tangibles de la victoire définitive de l’imprimé sur la copie manuscrite. Leurs auteurs – les touts premiers calligraphes dignes de ce nom – prennent acte de ce que l’écriture est désormais vidée d’une grande part de son utilité – puisque le presse à imprimer fait mieux, plus vite et moins cher – et cherchent donc à en valoriser la dimension esthétique, virtuose, cérémonielle. En français, le mot calligraphie lui-même n’apparaît qu’en 1969, quelques années après la création du dernier caractère typographique directement basé sur un modèle d’écriture – la lettre de civilité (1557) de Robert Granjon, transposition de la bâtarde gothique. Au-delà de cette date, chacune des deux disciplines connaîtra sa propre évolution esthétique, même si la typographie tentera souvent d’imiter la lettre calligraphiée, comme en témoignent les nombreuses fontes qui, dès la fin du XVIIIe siècle, reprendront les formes gracieuses de la coulée ou de l’anglaise.

Gerrit Noordzij, Letterletter, Hartley & Marks, 2000.
▪ Stanley Marrison, Early Italian Writing Books – Renaissance to Baroque, Edizione Valdonega/British Library, 1990.

Question 3 :

Quel typographe français est l’auteur du poinçon du Garamond de l’Imprimerie Nationale?

B : Les poinçons du Garamond de l’Imprimerie nationale ont été gravés vers 1615-1620 par Jean Jannon (1580-1658).

Les fameux caractères de L’Université, commandés au typographe sedanais Jean Jannon en 1641 par Sébasien Cramoisy (1585-1669), alors directeur de l’Imprimerie royale, furent longtemps attribués à Claude Garamond (1499-1561), le plus célèbre graveur de poinçons de la Renaissance française. A ce titre, ils serviront de modèle à de nombreux « Garamond » exécutés au début du XXe siècle pour la composition mécanique, et aujourd’hui disponibles sous la forme de fontes digitales, comme le Garamond 3 – mis au point par l’Américan Type Founders entre 1917 et 1923, avant d’être adapté pour le système Linotype – et le Monotype Garamond (1922). Ce n’est qu’en 1926 qu’un article de la revue britannique The Fleuron dissipa enfin le malentendu : l’enquête, menée par l’Américaine Beatrice Warde (1900-1969) mais signée du pseudonyme « Paul Beaujon », mit au jour un spécimen édité par Jannon en 1621, sur lequel figurait non seulement les six corps de romain et d’italique conservés à l’Imprimerie nationale, mais également un romain d’une taille minuscule – moins de cinq points –, baptisé « la Sedanaise ». L’exploit technique que constitue la gravure des poinçons de ce caractère microscopique contribua alors à établir la réputation de son auteur non plus comme un « simple » imitateur de Garamond mais bien comme un des grands noms de la typographie française classique.

Collectif, Les Caractères de l’Imprimerie nationale, éditions de l’Imprimerie nationale, 1990.
▪ Philip B. Meggs & Roy McKelvey (éd.), Revival of the Fittest, RC Publications, 2000.

Question 4 :

Quel typographe britannique a été accusé par ses concurrents d’employer des caractères destinés à rendre les lecteurs aveugles?

B : John Baskerville (1706-1775) a été accusé par ses concurrents d’employer des caractères d’un dessin si contrasté qu’ils auraient pour effet de rendre aveugle tous les lecteurs du pays.

Au début du XXe siècle encore, Updike n’hésite pas à écrire que les caractères imaginés par Baskerville mettent l’œil à l’épreuve : il leur reproche leur raffinement tatillon et stérile, qu’il attribue à l’influence, excessive de la calligraphie et de la gravure lapidaire – deux disciplines que Baskerville avait pratiqué professionnellement bien avant de se tourner vers une tardive carrière d’imprimeur. Le jugement est sévère et empreint d’une certaine partialité : Updike apprécie d’autant moins les caractères de Baskerville qu’il les juge par rapport à ceux de son très cher William Caslon (1692-1766), incarnation d’un goût typiquement anglo-saxon en typographie, fait de discrétion, d’efficacité et de pragmatisme. Or, non seulement les créations de Baskerville avaient supplanté celles de Caslon dans l’édition britannique dès la fin du XVIIIe siècle – ce qu’Updike ne leur pardonne que difficilement, même avec un siècle et demi de recul –, mais elles annoncent également les caractères néoclassiques de Didot et Bodoni – qu’elles ont clairement influencés – pour lesquels Updike éprouve également une aversion mal dissimulée. A défaut de susciter l’adhésion immédiate de ses compatriotes, les caractères de Baskerville ont fait très tôt l’admiration des imprimeurs continentaux : rachetés par Beaumarchais après la mort de l’imprimeur pour la publication des Œuvres complètes de Voltaire – c’est la célèbre « édition de Khel », soixante-dix volumes parus de 1784 à 1789 –, ils étaient encore à Paris durant la Révolution, où ils servaient à composer La Gazette nationale ou Le Moniteur universel, le futur journal officiel du Consulat et de l’Empire.

Daniel Berkely Updike, Printing Types – Their History, Forms and Use, Oak Knoll Press/British Library, 2001.
▪ Simon Loxley, Type – The Secret History of Letters, I.B. Tauris, 2004.

Question 5 :

Quelle fondeuse-composeuse mécanique a été brevetée en 1886 par l’Américain Tolbert Lanston?

A : Tolbert Lanston (1844-1913) breveta en 1886 une machine à fondre et à composer les caractères typographiques qu’il baptisa « Monotype ».

Contrairement à sa concurrente la Linotype, dont le principe consistait à fondre des lignes de textes entières (line of type), le système Monotype produisait des types individuels : si son rendement était moindre, il imposait cependant moins de contraintes du point de vue du design typographique. Dès les premières années du XXe siècle, la Linotype, plus productive, devient donc l’outil privilégié dans la presse, tandis que la Monotype est majoritaire dans le domaine du livre, grâce notamment à une politique commerciale et créative très ambitieuse : la branche américaine de la compagnie s’assure ainsi dès 1920 les services du grand Frederic W. Goudy (1865-1947), tandis que sa succursale anglaise engage en 1923 Stanley Morison en tant que typographical adviser. Cent ans plus tard, ce sont les caractères créés – ou recréés – dans ce contexte qui constituent le legs Monotype : les rééditions des grands archétypes historiques produits sous l’impulsion de Morison, par exemple, sont aujourd’hui des classiques de la typographie numérique – Bembo (1929), Monotype Garamond (1922), Fournier (1925), Monotype Baskerville (1923), Bell (1930), Van Dijck ou Ehrhardt (1937-1938). Il faut encore ajouter à cette liste l’incontournable Times New Roman (1931-1933), dont Morison fut l’initiateur et le maître d’œuvre, et les best-sellers issus de la collaboration de la firme avec les praticiens aussi considérables qu’Eric Gill (1882-1940) – Gill Sans (1927-1930), Perpetua (1929-1930) ou Joanna (1930-1931).

Richard Southall, Printer’s Type in the Twentieth Century, Oak Knoll Press/British Library, 2005.
▪ Stanley Morison, A Tally of Types, David R. Godine, 1999.

Voilà donc pour les 5 premières réponses… le suspens reste grand pour les 5 prochaines… 😉

28 septembre 2007

Typo Quizz…

Filed under: La typographie — isabellecosta @ 15:08
Tags: , , ,

Pour ceux qui n’ont pas la chance d’être abonné à Étapes, ou qui ne vont pas sur le site, je vais faire un peu de « photocopillage ».

Cet été, Étapes a organisé un quizz typo en partenariat avec Fontshop. Dix questions préparées avec soin par Stéphane Darricau, afin de déterminer notre quotient typographique.

Je vais donc vous présenter les dix questions. Sachez que la plupart des réponses se trouvent disséminées un peu partout dans mon blog, et pour aider, je suis cool, je vous met les visuels qui vont avec, dont certains donnent la réponse, mais ça n’est pas bien grave car le prochain billet sera réservé aux réponses détaillés! Mais n’hésitez pas à poster vos réponses quand même… 😉 Bon quizz.

Question 1 :

À quelle catégorie de lettres gothiques correspond le caractère employé par Gutenberg pour la Bible de 42 lignes?

A. Textura
B. Metallica
C. Fraktur
D. Schwabacher

Question 2 :

Quel maître calligraphe est l’auteur du plus ancien manuel d’écriture imprimé?

A. Claude Madiavilla
B. Johann Neudorffer
C. Ludovico Arrighi
D. Giovanni Tagliente

Question 3 :

Quel typographe français est l’auteur du poinçon du Garamond de l’Imprimerie Nationale?

A. Claude Garamond
B. Jean Jannon
C. Robert Granjon
D. Pierre La Police

Question 4 :

Quel typographe britannique a été accusé par ses concurrents d’employer des caractères destinés à rendre les lecteurs aveugles?

A. William Caslon
B. John Baskerville
C. Georges Blind
D. Joseph Fry

Question 5 :

Quelle fondeuse-composeuse mécanique a été brevetée en 1886 par l’Américain Tolbert Lanston?

A. La Monotype
B. La Linotype
C. La Ludlow
D. La Sahltype

Question 6 :

Qui a conçu en 1916 l’alphabet de signalétique du métro de Londres toujours en cours aujourd’hui? (J’en ai parlé il y a pas longtemps du tout…)

A. Eric Gill
B. Alphred Picadilly
C. Hector Guimard
D. Edward Johnston

Question 7 :

Qui était à la tête de l’atelier d’imprimerie et de publicité du Bauhaus de Dessau de 1925 à 1928?

A. Walter Gropius
B. Herbert Bayer
C. László Moholy-Nagy
D. Horst Tappert

Question 8 :

Quel caractère typographique a été dessiné par Roger Excoffon sur la base du logotype qu’il avait créé pour Air France?

A. Antique Olive
B. Mistral
C. Choc
D. Concorde

Question 9 :

Complétez cette citation de Massimo Vignelli : « Il n’y a que deux façon de faire de la typographie, la bonne et… »

A. « …la Française. »
B. « …la mauvaise. »
C. « …tiens c’est curieux, je ne me rappel plus de la seconde »
D. « …celle d’Emigre. »

Question 10 :

Lequel de ces caractères est dessiné par Pierre di Sciullo?

A. Le Grrr
B. Le Moudur
C. Le Durmou
D. Le Minimum syndical

Bon, c’est pas très dur avec les visuels, mais le prochain billet détaillera bien les réponses… 😉

27 septembre 2007

La phrase du jour… ou du mois…

Filed under: Phrase du jour — isabellecosta @ 15:06
Tags: , , ,

« Le monde réel est rond, alors que le monde de l’art est plat : on peut facilement tomber, ou être poussé du monde de l’art. La bonne nouvelle est qu’alors, on atterrit dans le monde réel. »

[BLAMEY – Ultra étapes – Août 07]

26 juillet 2007

Lisibilité fonctionnelle

Sur la base de l’observation des différentes formes typographiques repérées jusqu’ici, il est désormais possible de déterminer si un caractère est utilisable pour la composition de textes longs ou s’il vaut mieux le réserver pour des applications de titrage – ce qui revient, en fin de compte, à évaluer ses performances sur le plan strict de la lisibilité. Mais cette notion même de lisibilité n’est pas aussi absolue qu’on le suppose généralement.
On peut d’abord considérer la lisibilité d’un caractère typographique en prenant en compte la facilité de reconnaissance des lettres les unes par rapport aux autres : certaines fontes de titrage au dessin particulièrement exubérant ou, à l’inverse, à la structure exagérément économe – les caractères géométriques (1), par exemple, dont il est possible de construire plusieurs lettres à partir des mêmes éléments modulaires – risquent de poser des problèmes dans le cadre de cette « lisibilité de différenciation ».

La Gestalt

Ces difficultés sont d’ailleurs soit de nature absolue – un signe au dessin tellement original qu’il en devient méconnaissable –, soit relative – la distinction entre plusieurs signes insuffisamment différenciés (2).

Edward Johnston - Métro de Londres

Vient ensuite la « lisibilité de continuité », c’est à dire, le confort de lecture du caractère composé en texte courant : c’est là un registre tout à fait différent, et un caractère très performant de point de vu de la lisibilité de différenciation ne fait pas forcement un bon caractère de lecture continue – c’est souvent le cas de ceux dotés d’une hauteur d’œil importante, dont les signes considérés individuellement restent très lisibles en petits corps, mais dont les ascendantes raccourcies empêchent une bonne lisibilité de continuité. (Oui je sais c’est assez complexe!) Celle-ci s’appuie en effet sur les caractéristiques physiologiques de la lecture – déplacement horizontal du regard, perception des lettres non plus isolément, mais par groupe de quatre ou cinq signes, importance de la moitié supérieure des lignes par rapport à leur moitié inférieure, etc. –, auxquelles de nombreuses études scientifiques ont été consacrées depuis la fin du dix-neuvième siècle. Les critères (3) communément admis pour un confort de lecture optimal sont, d’ailleurs, autant liés au dessin du caractère lui-même – hauteur d’œil moyenne, signes nettement différenciés, axe oblique, contraste mesuré, empattements marqués – qu’au mode de composition – longueur de ligne comprise entre 55 et 80 signes, interlignage important, etc.

4 caractères de texte

Index :

Signes : Tous les éléments typographiques tels que lettres, ponctuation et espaces.

(1) : Le Gestalt est un caractère expérimental conçu en 1991 par l’Américain Jonathan Hoefler comme une exploration des limites de la lisibilité de différentiation : chaque signe n’est qu’une forme abstraite minimale qui n’est identifiée comme une lettre que dans le contexte spécifique de la langue écrite, d’où la traduction Allemande de Gestalt qui veut dire Forme.

(2) : La lisibilité de différentiation est un paramètre important dans la cas des caractères spéciaux destinés à la signalétique, dont la lecture se fait souvent dans des conditions difficiles. C’est le cas de l’alphabet dessiné en 1916 par Edward Jonhston pout le métro de Londres : le coude du « L » bas-de-casse n’est pas un choix esthétique, mais bien une solution destinée à marquer la différence avec le « i » capitale dont le signe est souvent identique.

(3) : Quatres caractères de texte : si le Garamond et le Caslon (deux premières phrases) satsifont à tous les critères de la lisibilité de continuité, le Century (troisième phrase) compense sa forte hauteur d’œil par des empattements plus nettement accusés, tandis que la faible hauteur d’œil du Gill Sans (quatrième et dernière phrase) lui permet de rester performant malgré son absence d’empattements.

Page suivante »

Propulsé par WordPress.com.